IA & Data center, comment répondre à la demande électrique ?
Face à la croissance des usages de l'IA et des data centers, de nouvelles capacités de production électrique vont être nécessaires. Seront-elles renouvelables ? Nucléaires ? Fossiles ?
Après avoir regardé la croissance des besoins énergétiques de l’IA et des data center, intéressons-nous à la manière d’y répondre.
Si vous n’avez pas le temps, voici les points clés.
🗞️ Quel est l’enjeu ? Les acteurs de la tech accélèrent le développement de l’IA et des data centers et ils ont besoin de construire de nouvelles capacités de production qui répondent à plusieurs impératifs : être rapidement déployables, disponibles 24/7 et avec une intensité carbone faible (éventuellement).
🌍 Comment répondre à la demande ? Il n’y a pas assez de projets renouvelables prévus aujourd’hui aux États-Unis et ils souffrent de leur intermittence. Les capacités disponibles avec le nucléaire risquent d’être trop faibles et/ou trop tardives.
📈 Quel type de production pourrait être gagnant ? Des signaux montrent que les centrales à gaz semblent être une option pertinente à court terme. Elles pourraient répondre à plus de la moitié de la demande des data centers.
⏭️ Ce qui est important à garder en tête : Un mix ne se construit jamais avec une seule option. D’autres éléments sont primordiaux à prendre en compte comme le stockage ou les réseaux. Ces derniers sont d’ailleurs l’élément déterminant pour envisager le futur énergétique du secteur.
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La version longue.
Le 5 décembre, l’Agence internationale de l’Énergie a organisé sa première convention sur l'IA et l'énergie. Rassemblant des délégués de différents États et des représentants de grandes entreprises de la tech et de l’énergie, le message qui en ressort est simple : vu son potentiel, le développement de l'IA s’accélère et il faut construire plus de capacités de production bas carbone pour le soutenir.
Après avoir abordé le sujet de la demande lors de la dernière newsletter, regardons maintenant du côté de la production électrique en essayant de répondre à des questions toutes aussi simples : pouvons-nous répondre à la demande des data center d'ici 2030 ? Sera-t-elle renouvelable ? Nucléaire ? Fossile ?
Nous allons nous concentrer sur le cas des États-Unis qui représentent la moitié de la capacité de calcul mondiale et qui, de fait, constituent un véritable terrain d’expérimentation sur le sujet.
Les renouvelables ne suffiront pas
Nous avons vu précédemment, que la demande électrique des data centers pourrait se situer entre 300 et 400 TWh à l'horizon 2030 (contre 150 TWh en 2023).
Heureusement, en parallèle, le nombre de projets éoliens et solaires à raccorder sur le réseau ne cesse d’augmenter depuis 10 ans (voir l’image ci-dessous). Cette tendance permettrait-elle d’avoir suffisamment de production bas carbone pour le secteur de la tech ?
Faisons une première estimation rapide à partir des données du Lawrence Berkeley National Lab.
Sur tous les projets renouvelables prévus, on peut envisager qu’environ 225 GWc seront déployés dans les prochaines années afin de produire 525 TWh d'électricité annuellement d'ici 20301. Cela paraît suffisant mais il y aura d'autres usages à fournir et les data centers ne devraient compter que pour 10% de la demande d'électricité.
10% de 525 TWh, cela fait 52,5 TWh disponibles alors qu’il faudrait 150 à 250 TWh... D’autres projets s’ajouteront à la pile en cours de route, mais l'écart est significatif et il faudra construire beaucoup d’autres capacités.
Le problème, c’est que le délai de déploiement semble s’allonger. Google en a fait le constat dans une récente annonce : il faut 4 ans aujourd’hui pour raccorder une nouvelle centrale solaire, contre 2 auparavant.
Ensuite, ce calcul ne prend pas en compte le caractère intermittent des renouvelables. Or, c’est un enjeu majeur pour répondre à la demande stable des data centers 24h sur 24, 7 jours sur 7 (24/7).
Là encore, l’exemple de Google est emblématique. L’entreprise est capable de répondre à 100% de ses besoins annualisés (25,3 TWh en 2023), mais ne peut aligner production et consommation que dans 64% des cas.
Le nucléaire reste marginal, les annonces politiques
Les entreprises de la tech se tournent donc vers d’autres moyens de production, notamment le nucléaire qui offre une production stable et bas carbone.
Par exemple, Microsoft et Constellation Energy ont signé un contrat PPA avec l’objectif de relancer une partie de la centrale de Three Miles Island fermée depuis 5 ans. Cependant rien n’est encore assuré pour ce projet qui demanderait un investissement d'environ 1,6 milliard de dollars pour prévoir une remise en route d'ici 2028.
Plus largement, les capacités nucléaires existantes qui pourraient être fléchées vers les data center sont réduites (et le régulateur veut limiter au maximum le phénomène de fuite).
Le secteur a besoin d’un cadre réglementaire clair et engageant sur long terme pour décider de la construction de nouvelles capacités qui mettraient 10 à 15 à émerger. Il n’y a aucune raison de penser que les États-Unis entrent dans une séquence politique permettant d'offrir cette stabilité.
À l’image de Meta, les acteurs de la tech doivent donc prendre leur mal en patience et se borner à des annonces afin de montrer qu’ils sont prêts à investir.
Les petits réacteurs modulaires (SMR) sont une autre option
Ils présentent des qualités équivalentes et des coûts qui pourraient bénéficier d’une forte courbe d’apprentissage.
Amazon a annoncé sa volonté d'investir plus de 500 millions de dollars dans le développement, l'octroi de licences, et la construction de SMR de X-Energy, avec un premier objectif de 320 MW de puissance disponible.
Plus petits que les centrales conventionnelles, les SMR pourraient être plus rapides à déployer. Cependant les premiers réacteurs ne sortiront pas avant 2030-2035, et aucun n'est actuellement en construction. 80% d’entre eux ne sont même pas entrés en phase de développement.
De plus, même si la technologie semble prometteuse, les capacités annoncées sont encore dérisoires face à celles des renouvelables. On parle de quelques centaines de mégawatts, quand Microsoft annonce, par exemple, un partenariat avec Brookfield pour construire 10,5 GW de capacités renouvelables dans les prochaines années, ou encore un engagement pour 12 GW de modules solaires Qcells pour déployer 1,5 GW par an jusqu'en 2032 (en sus).
En comparaison les capacités nucléaires sont trop faibles et arrivent trop tard. Elles ne peuvent répondre à l’urgente demande des data centers.
Comment faire alors ? En réalité, les effets d’annonce sur les renouvelables éclipsent un autre type de production.
Le gaz, toujours fidèle au poste
Le secteur des data centers veut une énergie stable et disponible immédiatement, et pas en 2030.
Les centrales à gaz redeviennent alors une alternative évidente. Elles sont fiables (en base comme en pic) et rapides à déployer (un peu plus de 2 ans, contre le double pour le solaire). C’est d’ailleurs l’option qui a été choisie par xAI, la division IA de X, pour déployer son data center en un temps record avec 14 centrales à gaz.
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Malgré les discours, cette option est déjà intégrée dans le "logiciel" des GAFAM, comme Google, en y associant idéalement de la capture de CO2 (CCS).
Du côté des développeurs, les signaux sont également clairs. GE Verona voit un engouement pour ce type de fourniture au détriment des champs éoliens offshore. Et Exxon vient d'annoncer la mise à disposition prochaine d’une première centrale à gaz pour le secteur. Goldman Sachs estime même qu’elles répondront à 60% de la demande des data centers.
L'environnement attendra.
Des solutions partielles qui imposent de nouvelles stratégies
Récapitulons les données du problème. Les data centers vont en effet devoir disposer d’une électricité 1/ déployable le plus rapidement possible, 2/ avec une disponibilité 24/7 et 3/ éventuellement une intensité carbone faible.
Le nucléaire ne semble pas être une option à court et moyen terme. Sans révolution technique et politique, il ne peut répondre à une demande urgente d’ici 2030-2035. Cinq à dix ans, c’est long, surtout dans ce secteur.
Le gaz peut être une solution réaliste pour de nombreux acteurs. Rapide, compétitif et pilotable, l’impatience du secteur pourrait catalyser le développement de cette infrastructure avec un grand risque d’actifs échoués et des émissions de GES en plus. Cependant le constat reste à confirmer et à estimer, vu le peu de communication sur le sujet.
Au milieu, les renouvelables bénéficient d’investissements massifs mais ils sont confrontés à des délais de déploiement qui s’allongent et à leur intermittence. Ils dépendent également du développement d’autres briques que nous n’avons pas exploré : stockage, flexibilité et réseau.
La réponse est donc partielle. Rappelons également qu’un système électrique se construit en mix, et aucune solution ne peut répondre complètement à toutes les demandes.
La question du coût reste en suspens, même si nous verrons que ce n’est que partiellement un problème. Le réseau par contre, et les capacités de raccordement, constituent les facteurs limitants et obligent à de nouvelles stratégies que nous discuterons la prochaine fois.
Merci d’avoir lu jusqu’au bout ! N’hésitez pas à mettre un like et un commentaire bienveillant pour nous faire avancer (notamment pour commenter / corriger un éventuel point). Si vous avez trouvé cette newsletter utile, partagez-là car on prévoit de supers sujets dans le prochains mois !
D'après le Lawrence Berkeley National Lab, près de 1 570 GW de capacité de production renouvelable sont en projet de connexion. En réalité, environs 14% de projets solaires et 19% des projets éoliens sont réellement installés et raccordés. Les capacités projetées seront donc plus proches de (571,2+515.1)=1086,3 x 14% = 152 GW pour le solaire et (246.1+119.8) = 365,9 x 19% = 73,18 GW pour l'éolien. Pour anticiper l'énergie produite sur un an, nous prenons en compte un facteur de charge de 23,3% pour le solaire et de 33,5% pour l'éolien. On tombe donc à environ 310 TWh (solaire) et 215 TWh (éolien), soit 525 TWh d'électricité produite avec ces nouvelles capacités. Même si elles vont se déployer à des horizons de temps variés, on peut raisonnablement penser qu'elles seront disponibles d'ici 2030.