IA & Data center, à quelle demande énergétique doit-on s'attendre ?
Les annonces se multiplient pour alerter sur la croissance énergétique hors de contrôle de l'IA & des data centers. Mais qu'en est-il réellement ?
Si vous recevez cette newsletter, c’est que vous êtes abonné à Les Solutionnistes, la newsletter sur les solutions climat pour débattre des derniers enjeux sur leur déploiement avec pragmatisme et de nombreuses références utiles. Après de longs mois de pause, nous reprenons le format avec le sujet des data centers et de leur demande énergétique. Le secteur est précurseur de certaines dynamiques pour lesquelles un état des lieux est nécessaire.
Ainsi, la facture énergétique de l’IA semble exploser mais quels sont les besoins réels ? Pouvons-nous y répondre ? Avec quel type d’énergie et à quelle échéance ? Pour comprendre la situation, nous proposons une série de notes sur ce vaste sujet.
Si vous n’avez pas le temps, voici les points clés.
🗞️ Qu’est-ce qui fait l’actualité ? Les géants de la tech (Microsoft, Amazon, Google) multiplient les annonces pour fournir en énergie nucléaire leurs data centers. La facture énergétique liée aux usages de l'IA semble incontrôlable, au point de faire exploser les émissions carbones de ces entreprises.
🌍 Quel est l’impact de l’IA aujourd’hui ? Les data centers représentent environ 1,5% de la consommation électrique mondiale. La part de l'IA dans la demande actuelle reste marginale (1 à 10%) mais devrait augmenter rapidement car son utilisation est plus énergivore et ses usages vont forcément augmenter.
📈 Quel sera la demande demain ? Il y a de nombreuses incertitudes concernant l'adoption de l'IA et son optimisation future. Sa demande pourrait croitre de 150% d'ici 2030, mais cela représenterait une petite part de la croissance de la demande électrique.
⏭️ Ce qui est important à garder en tête : Le secteur des data center a prouvé qu'il était capable de croître tout en réalisant des gains d'efficacité énergétique énormes. Sa croissance aura un impact réel mais concentré sur certaines régions, qui pourraient voir leur mix électrique bouleversé.
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La version longue.
Si vous débarquez sur le sujet, plusieurs annonces ont fait sensation dans le monde de l’énergie aux États-Unis.
Microsoft et Constellation Energy ont signé un accord de fourniture provenant de l'unité 1 (à l’arrêt) de la centrale nucléaire de Three Mile Island d'une puissance de 835 MW.
Amazon, via sa filiale Amazon Web Services (AWS), n'est pas en reste avec l'objectif de déployer 5 GWc de puissance nucléaire d'ici 2039. Sa stratégie est également originale puisqu’elle consiste à acheter d'un data center situé et directement connecté au site de la centrale nucléaire de Susquehanna de l'opérateur Talen Energy, pour 650 millions de dollars. L'accord doit permettre de fournir jusqu'à 480 MW.
Enfin, Google a annoncé un partenariat exclusif avec Kairos Power, pour déployer 500 MW de puissance d'ici 2035, via des petits réacteurs modulaires (SMR). L'objectif est de construire 7 réacteurs au total, dès 2030.
Qu'est-ce qui motive ces entreprises à adopter ces stratégies curieuses ?
La croissance de la demande énergétique de leurs data centers est explosive et rien ne laisse penser que cela va se calmer avec les nouveaux services fondés sur l'IA.
Cette dynamique fait même dérailler les objectifs de neutralité carbone. Preuve en est, Google a vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter de près de 50% depuis 2019... alors qu'il était sensé être déjà "neutre" en 2020.
Le défi du secteur est donc d’accroître rapidement sa fourniture d’énergie. Si elle est bas carbone, c’est mieux, mais ce n’est pas indispensable.
Dans cette actualité fébrile, quelle sera la demande énergétique à prévoir dans les prochaines années ?
Les besoins énergétiques de l’IA & des data centers
Il est compliqué de connaître la part prise par l'IA dans la consommation d'énergie totale des data centers car les incertitudes sont nombreuses. Les données sont peu communiquées, manquent de standardisation et mêlent souvent des usages IA/non IA. Cette difficulté est toutefois atténuée par l'utilisation de puces spécifiques (GPU, TPU) pour l'IA mais les fournisseurs ne rendent pas forcément compte de leur utilisation.
En conséquence, selon la manière de les qualifier, les usages actuels liés à l'IA peuvent représenter moins de 1%, 1%, 8%, voire 10 entre 20% de la consommation électrique. Aussi précis que le budget de l'État français donc.
On peut cependant affirmer que cette part va augmenter.
Par sa nature même, plus complexe que les services actuels, l'usage de l'IA générative est plus énergivore. Une première estimation montre qu’une requête ChatGPT demande un peu moins de 3 Wh, soit 10x plus qu'une requête Google traditionnelle.
C'est sans compter sur les nouvelles capacités telles que la génération d'images, de sons et de vidéos qui n'ont pas d'équivalent. L'IA ayant un usage émergent, la diversité de ses usages va également croître.
Sans visibilité actuelle sur les usages réels et les courbes d'adoption, les exercices de prévisions sont périlleux.
Goldman Sachs Research estime que la consommation actuelle des data center était de l'ordre de 400 TWh en 2023 et pourrait atteindre plus de 1000 TWh en 2030, soit une croissance annuelle de 14,5%. Dans ce scénario, cela représenterait alors 3 à 4% de la demande électrique mondiale, à comparer à environs 1,5% en 2023. L'IA prendrait assurément une part significative des capacités de calcul pouvant aller de 20% à 50% selon les estimations. D’autres études se concentrent uniquement sur les usages de l’IA, comme celle de Gartner, qui prévoit 500 TWh en 2027.
L’analyse du secteur ne peut se faire sans un focus sur les États-Unis car le pays représente environ 50% de la capacité de calcul mondiale, sans commune mesure avec les autres régions, l'Europe et la Chine représentant chacune 15%.
La part du secteur représente déjà 4% de la consommation électrique du pays et pourrait atteindre près de 10% en 2030 d'après une étude du Center on Global Energy Policy. L'ordre de grandeur se retrouve dans les travaux de l'Electric Power Research Institute où, selon le scénario de croissance le plus optimiste de 15% de croissance annuelle, la consommation électrique passerait d'environ 150 TWh en 2023 à plus de 400 TWh. Une expansion moins ambitieuse et/ou des efforts plus importants en matière d’efficacité énergétique nous conduiraient à une consommation de 200 à 300 TWh, en accord avec les prévisions de McKinsey.
Qu’est-ce que cela représente au niveau international ?
Au niveau international les data center ne représentent qu'environ 1,5% de la demande électrique (moitié moins que celle des autres dispositifs électroniques comme les téléphones, ordinateurs, etc.). Si la croissance de leur utilisation est incontestable, elle reste plus faible que celle d'autres moteurs de la transition. Selon l'Agence Internationale de l’Énergie (AIE), la consommation d'électricité augmentera de près de 6760 TWh d'ici 2030, en raison principalement du déploiement des véhicules électriques, puis de la climatisation et enfin de l'industrie (voir le Stated Policies scenario).
Le scénario de base de l'AIE prévoit que les data center représenteraient moins de 10% de la croissance de la demande électrique en 2030, au même niveau que les technologies de dessalement, mais beaucoup moins que les 1200 TWh de demande supplémentaire pour la climatisation. 10% de 6760 TWh, cela fait 680 TWh, ce qui, en comptant les 400 TWh actuels, nous amène environ à un peu plus de 1000 TWh comme suggéré par les études précédemment citées.
Quelle sera la trajectoire réelle des besoins énergétiques des data center ?
Impossible à dire mais trois points sont importants à rappeler face aux annonces dans les médias.
1. Prévision n’est pas (que) projection
Les estimations diffusées ces derniers mois sont à prendre avec énormément de recul. Beaucoup d’entre elles se contentent de projeter les tendances récentes sur 5 à 10 ans, sans forcément prendre en compte les dynamiques de transformations profondes. Un article de Nat Bullar présente bien cette limite fréquente quand il s’agit de prévoir les cycles de croissance dans l’énergie.
Certaines des méthodologies résument d’ailleurs la situation, comme celle de EPRI ("based on an expert assessment commissioned by EPRI"). Les travaux de l’AIE semblent plus rigoureux et explicitent une incertitude de +150/-100 TWh (à 2030).
2. L’histoire se répète-t-elle ?
Le débat sur l’explosion de la demande énergétique du numérique a déjà eu lieu à de nombreuses reprises sans que le monde ne déraille pour autant car l’industrie a su optimiser ses besoins (un état des lieux ici).
Pour rappel, de 2010 à 2018, la capacité de calcul des data center a triplé tandis que la consommation électrique est restée quasiment stable, passant de 194 TWh à un peu plus de 200 TWh. Ceci est le produit de nombreuses améliorations matérielles et d’un changement d'échelle massif avec la mise en place de data centers "hyperscales" offrant une meilleure optimisation énergétique. L’efficacité s’est également retrouvée au niveau software. La croissance du numérique ne se résume pas à la croissance des octets et les services se déploient sans forcément demander plus d’énergie.
Ce précédent doit être gardé en tête tant il montre la capacité impressionnante du secteur à générer des gains d'efficacité gigantesques.
3. Des tendances globales, des transitions locales
Ces précautions prises, il ne faut pas sous-estimer l’impact de la demande énergétique des data center surtout en raison de leur extraordinaire concentration spatiale. Ils représentent déjà plus de 10% de la consommation du réseau électrique dans cinq états américains et même plus de 20% de la consommation irlandaise en 2023 ! Des contraintes de fourniture risquent de se multiplier au niveau local, forçant à des bascules énergétiques.
Ces dynamiques rendent indispensables la mise en place de nouvelles capacités de production bas carbone, du côté de l’offre, et de nouvelles innovations en matière d’efficacité énergétique, du côté de la demande des data centers.
C’est ce que nous explorerons dans les prochaines parties.
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