Les Solutionnistes : une newsletter climat garantie net zéro bullshit
Parce que l'Accord de Paris ne va pas se tenir tout seul
Bienvenue chez Les Solutionnistes. Cette newsletter est une réponse à une frustration : la pauvreté du débat public Français sur l’urgence climatique et la manière d’y répondre. Chaque mois (parfois plus souvent) nous parlerons solutions climat avec ambition, pragmatisme et ouverture d’esprit. Ainsi qu’une tolérance zéro face au bullshit.
Qui sommes-nous ? Greg est chercheur associé à Mines Paris PSL, directeur du think tank Zenon et futur Chief Scientist d’une importante fondation sur le climat. Benjamin est ingénieur, Founding Partner de Marble, startup studio climate tech, et co-fondateur de Carbon Gap, une ONG européenne dédiée à l’élimination du CO2 atmosphérique (carbon dioxide removal).
Le réchauffement, c’est maintenant
L’année 2022 fut la plus chaude jamais enregistrée en France, en Espagne, au Royaume-Uni. Ce fut la seconde année la plus chaude en Europe, avec des incendies, canicules et sécheresses records. La Chine et l’Inde ont étouffé sous les vagues de chaleurs, et le Pakistan a subi des inondations sans précédent. La banquise d’Antarctique a atteint son niveau le plus bas en 44 ans, et les océans n’ont jamais connu de température aussi élevée.
L’Accord de Paris et le GIEC fixent le cap pour éviter le pire. Pour limiter le réchauffement sous les 1,5°C les émissions devront chuter de moitié d’ici 2030 puis atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pour 2°C c’est -20% d’émissions d’ici 2030 et la neutralité d’ici 2070. Le tout au niveau mondial : les pays riches sont invités à avancer beaucoup plus vite.
Une transformation aussi radicale du système énergétique mondial sur un temps aussi court serait sans précédent. Il y aurait donc de quoi être inquiet. D’ailleurs le 1,5°C semble assez compromis sans dépassement … Pour autant chaque dixième de degré compte donc il ne faut rien lâcher !
Il va falloir agir vite et fort, d’autant plus que la concentration de méthane dans l’atmosphère est en train d’exploser. Et le méthane représente un tiers du réchauffement ressenti depuis l’ère pré-industrielle.
Alors, on fait quoi ?
Il y a grosso modo trois choses à faire en parallèle :
Réduire très vite et très fortement les émissions. L’humanité émet environ 60 gigatonnes de gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxide d’azote, et autres gaz) par an. Ce nombre doit chuter au plus proche de zéro.
Eliminer le CO2 de l’atmosphère (CDR, carbon dioxide removal) pour compenser les émissions résiduelles. Le GIEC estime que 5 à 16 gigatonnes par an seront nécessaires à partir de 2050 pour tenir les 1,5°C.
Gérer les impacts climatiques, notamment via l’adaptation des sociétés humaines et des écosystèmes. D’autres interventions plus controversées devraient défrayer la chronique dans les années à venir.
Sur ces trois piliers, le portefeuille des solutions à mobiliser est vaste, et aucune baguette magique ne suffira : ni technologie miracle, ni grand soir politique, ni changement massif des comportements du monde entier.
Prenons l’exemple des transports. Pour couvrir les multiples usages, distances et géographies, il faudra de l’urbanisme intelligent, des mobilités douces, des transports en commun, des véhicules électriques, des propulsions adaptés aux transports lourds (camions, avions, navires), ainsi que des mesures prenant en compte les inégalités de territoires et de revenus.
Zoomons sur le véhicule électrique. Son passage à l’échelle nécessitera des bornes de recharge, des batteries performantes et moins coûteuses, un approvisionnement en métaux adapté, une main d’oeuvre qualifiée, différents outils de financement pour la création de sites industriels, la R&D, pour stimuler la demande. Pour faciliter le tout, on pourra alléger le poids des véhicules et réduire le besoin de voiture individuelle en agglomération.
En somme, c’est l’infrastructure du monde moderne qu’il faut reconstruire, à un rythme et une ampleur jamais vues dans l’histoire. Et comme le montre l’exemple précédent sur les transports, c’est qu’en reconnaissant l’aspect systémique des transitions que l’on pourra agir au bon niveau.
Quelles solutions pour la neutralité carbone ?
Bonne nouvelle : la moitié des émissions mondiales peuvent être effacées avec les solutions existantes. Ces solutions sont bien identifiées : énergies renouvelables et nucléaire, pompes à chaleur, véhicules électriques, régimes moins carnés, etc. L’enjeu est de les déployer très rapidement pour maximiser nos chances de rester au plus près possible des 1,5°C.
C’est ensuite que ça se corse : l’autre moitié des émissions ne peut être gérée qu’avec des technologies en développement. Il s’agit des secteurs dits difficiles à décarboner, comme l’industrie lourde (ciment, acier, chimie), les transports longue distance (maritime, aviation) ou l’agriculture (sauf à espérer que le monde entier devienne végétarien). Des secteurs qui ont comme point commun de ne pas être facilement électrifiables.
Les quantités donnent le vertige : chaque année sont produites 4.4 milliards de tonnes de ciment, 2 milliards de tonnes d’acier, ou 180 millions de tonnes d’ammoniac. Le cheptel mondial de bétail est d’un milliard de têtes, et pas moins de 55,000 navires marchands sillonnent les mers.
Heureusement, les solutions commencent à émerger. Des sites pilotes sont chantier pour décarboner l’acier avec de l’hydrogène, ou les cimenteries avec la capture de CO2. Plusieurs transporteurs maritimes et aériens passent commande de navires et de carburants bas-carbone. Dans nos assiettes, la viande végétale n’est plus une curiosité, et la viande cultivée arrive à grand pas.
L’élimination du CO2 (CDR, carbon dioxide removal) sera indispensable pour compenser les émissions résiduelles. Malgré ses 2 gigatonnes annuelles et ses multiples co-bénéfices, la gestion forestière ne suffira pas à elle seule : limitée par l’usage des terres et la durée de séquestration.
Pour 10 gigatonnes par an de CDR permanent il faudra mobiliser tout un éventail d’approches, du Direct Air Capture aux méthodes utilisant la biomasse ou renforçant les cycles géochimiques naturels. L’enjeu est colossal : bâtir en seulement 30 ans un secteur deux fois plus gros que l’industrie pétrolière mais avec un flux de matière inversé : de l’atmosphère à la lithosphère.
Un point d’inflexion ?
En 2023, nous vivons sur la question climatique une période transitoire qui peut être déconcertante. D’un côté, les émissions mondiales n’ont toujours pas commencé à baisser alors que les impacts climatiques s’intensifient, menant à l’indignation, la colère, la révolte et l’anxiété chez plus d’un.
De l’autre, la transition climatique est clairement en phase d’accélération. Les facteurs sont multiples : suites de l’Accord de Paris, objectifs net zero mondiaux, électrochoc du rapport du GIEC de 2018 et des épisodes météo extrêmes, mobilisation de la société civile, plans de relance post-covid, réponses à la crise énergétique provoquée par l’invasion Russe, et les investissements publics de 2022 et 2023 aux USA et en Europe.
Evidemment, si cette tendance avait démarré il y a 30 ans, le monde serait en bien meilleure posture pour 1,5°C. Inutile de refaire l’histoire donc disons-le franchement : si le meilleur moment pour agir c’était dans les années 1990, le deuxième meilleur moment c’est aujourd’hui.
La France et le climat : je t’aime moi non plus
Las, en France le débat public sur les solutions climat n’est pas à la hauteur. Nucléaire ou renouvelables ? Action individuelle ou action publique ? Sobriété ou techno-solutionnisme ? Croissance verte ou décroissance ? Les prises de position restent extrêmement polarisées, souvent très caricaturales, peu étayées par des données sérieuses, et très Franco-Françaises.
Conséquence : alors que le pays a toutes les cartes pour être un leader climatique, les retards s’accumulent. Que ce soit sur les baisses d’émissions, le déploiement des énergies renouvelables, le nouveau nucléaire, la rénovation thermique des bâtiments, la décarbonation industrielle, ou la transition agricole. Et ne parlons pas du CDR qui est absent du débat …
Comment en est-on arrivé là ? Quelques hypothèses. En France on aime le débat, parfois plus par plaisir sur spectale que pour sa finalité. On aime aussi chercher la solution parfaite (qui n’existe généralement pas). Enfin, beaucoup de discours relèvent au mieux d’un manque de compréhension, au pire d’une posture sans rapport direct avec le climat : au choix électoraliste, idéologique, ou simplement pour faire de l’audience.
Le débat est hacké par des trolls à longueur de journée. Il y a bien sûr les climatosceptiques qu’une étude récente du CNRS a mis en lumière. Mais il faut aussi compter sur les éditorialistes de chaîne en continu, les industriels adeptes du greenwashing, les blogueurs et influenceurs dont l’indignation est le fonds de commerce, certains militants associatifs, et bien sûr les politiques.
Les trolls du climat, on en trouve à gauche, à droite, au centre, au point que certaines solutions finissent par devenir des marqueurs politiques, comme l’éolien ou le nucléaire. Tout se passe comme si le seul consensus transpartisan en matière de climat était la recherche de la médiocrité.
Solutionnistes face au défi climatique
Derrière ce nom un peu taquin ne se cache pas un énième “mouvement” mais la volonté d’apporter une modeste contribution.
Loin des clichés, redonnons au solutionniste sa signification : une posture orientée vers la recherche de solutions. Attention, non pas LA solution unique et réductionniste, mais LES solutions dans leur diversité, qu’elles soient matures, émergentes, techniques, règlementaires, ou comportementales.
Surtout, des solutions capables de passer à l’échelle pour peser dans la balance des émissions. On pourra appliquer la fameuse règle de trois, mais uniquement avec des données récentes, un minimum d’honnêteté intellectuelle, et en évitant les conclusions à l’emporte-pièce.
Nous publierons cette newsletter une à deux fois par mois, pour parler solutions climat sous toutes leurs formes, et des enjeux liées à leur déploiement. Nous mettrons en avant l’état des connaissances, y compris les questions en suspens, avec nuance, analyse et un peu d’humour.
Un parti pris : ambition, pragmatisme, et ouverture d’esprit. Ce dernier point nous tient à coeur car c’est peut-être ce qui fait le plus défaut en France. Nous n’avons d’ailleurs pas la prétention d’avoir la science infuse : il nous arrivera de nous tromper et de changer d’avis. Dites-le nous !
Dernier point. Nous avons conscience d’être deux hommes blancs avec un parcours scientifique, un profil sur-représenté. Nous nous efforcerons donc de mettre régulièrement à l’honneur dans ces colonnes des femmes et personnes issues de la diversité qui s’investissent pour les solutions climat.
On espère que cette newsletter vous plaira ! N’hésitez pas à utiliser les commentaires pour débattre avec courtoisie et bienveillance.
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A bientôt
Greg & Benjamin
Bonjour Greg et Benjamin, bravo pour la NL. Nous sommes aussi axés solutions dans le domaine financier. A votre disposition pour parler du Score Carbone Axylia d'une solution comportementale : intégrer les émissions de CO2 dans les états comptables. Bonne journée Vincent (vincent.auriac@axylia.com)
Merci de proposer cette approche "neutre" face à une déprime par anticipation en mode lapin tétanisé par les phares de l'apocalypse. Le terme de 'solution' est presque déjà un peu piégé, je préfèrerais le terme d'"effort". En France j'ai l'impression que même quand on arrive avec des idées très low-tech, super économes en tout, on est taxé de savant fou écocide. La vague de dénonciation du greenwashing se mue en scepticisme structurel et donc avant de grimper la falaise du CDR il va falloir ramer à contre-courant de nos compatriotes. (voir les réactions à l'article du Monde sur le biochar, La Coop Carbone de Paris pas sûre de vouloir du CDR etc...).
Malcolm Hammer / carbone-urbain.com